Dans l’attente du Budget 20/21
Dans l’attente du Budget 20/21
Quelques observations pertinentes
Ces jours-ci, l’économie reprend ses droits. Ce n’est pas qu’elle les avait
perdus, puisque l’on entend régulièrement des remarques du type : il parait
que le gouvernement n’a plus d’argent. Mais l’interrogation est vite rangée
sous le déluge des échanges sur la pandémie, tels que le nombre de cas
recensés et l’expérience des uns et des autres durant les confinements.
Mais le mois de juin approche à grands pas, c’est celui durant lequel le ministre
des Finances lit son discours traditionnel et rend publiques les prévisions de
dépenses et de recettes du Consolidated Fund (affaires courantes) et du
Capital Fund (projets et investissements). Et la remarque la plus fréquente est
celle-ci : quelle est la marge de manœuvre du ministre des Finances ? Loin de
l’objectif de cet article d’apporter des éléments de réponse à cette question ! Il
s’agit, plutôt, de se pencher sur l’évolution de trois facteurs majeurs,
susceptibles d’exercer une influence significative sur les finances publiques et
le budget national. Ce sont la croissance de l’économie, le niveau et la
composition de la dette publique et le volume des réserves internationales.
La croissance de l’économie
Il est bon de rappeler qu’on se réfère d’habitude à la croissance de l’économie
nationale d’une année à l’autre, mais on peut aussi, par exemple faire
l’exercice, d’un trimestre à l’autre. Dans le cas présent, utilisons la période
annuelle, puisque le budget national s’étend sur douze mois. La croissance
annuelle de l’économie est obtenue à partir d’une comparaison, entre deux
grandeurs, soit les PIB (Produit intérieur brut) respectifs de deux années
consécutives. ** Mais tâchons dans la mesure du possible, d’éviter les termes
techniques et visualisons le PIB comme étant le gâteau national que nous
produisons, d’année en année.
Il se trouve qu’en 2020, la dimension du gâteau national de notre République a
été sérieusement réduite par l’arrêt des activités économiques durant de
longues semaines, de sorte qu’en fin d’année, il ne valait que 428,2 milliards de
roupies, alors que celui de 2019 avait atteint 498,3 milliards. Une réduction de
70 milliards de roupies d’une année à l’autre, ce n’est pas négligeable. La
comparaison entre ces deux grandeurs résulte ainsi en une croissance négative
(ou décroissance) de 14,1 % en 2021, par rapport à 2020.
Il en résulte que les parts du gâteau ont été réduites pour tous les Mauriciens,
ceux étant dans la partie inférieure de l’échelle des revenus étant les plus
touchés, puisqu’ils ne disposent pas d’un coussin d’épargne ou de réserves des
temps passés, pour faire face à la disette.
Et que nous réserve l’avenir ? Les estimations ne sont guère rassurantes, car
nous avons, une fois encore, fait l’expérience d’un sérieux coup de freins aux
activités économiques pendant quelque six semaines. Et cela s’ajoute à l’arrêt
total de l’industrie touristique, cet important pourvoyeur de devises fortes en
même temps qu’elle alimente, de manière indirecte, d’autres secteurs de
l’économie locale. Plusieurs estimations de décroissance ont été publiées, la
dernière est celle du FMI (Fonds Monétaire International), qui prévoit une
décroissance de 15%, soit un gâteau national, d’ici décembre 2021, égal à
quelque 364 milliards, exprimés en roupies, valeur 2020. Comme nous sommes
loin des 498,3 milliards réalisés en 2019 ! Le montant final sera probablement
plus élevé que 364 milliards, car le PIB 2021 sera exprimé en termes de roupies
valeur 2021, c’est-à-dire dépréciées substantiellement par rapport à 2020. En
effet, de janvier à avril 2021, il est estimé que la roupie s’est dépréciée au taux
annuel de 5,4% vis-à-vis du dollar et de l’euro, et de 10,8% vis-à-vis de la livre
sterling. C’est, hélas, un douloureux rappel de la baisse conséquente de notre
pouvoir d’achat.
S’agissant du Budget, on sait que durant la dernière année financière pré-
COVID, (2019-20), et selon les prévisions rendues publiques lors de la
présentation du budget 2020-21, les dépenses courantes étaient estimées à
30,3% du PIB, et les revenus à 20,8%, résultant en un déficit estimé à 9,5% du
PIB.
S’agissant de l’exercice 2020-21, qui se termine le 30 juin prochain, grâce au
deus ex machina du recours aux réserves nationales de la Banque de Maurice,
les dépenses courantes et les revenus ont été estimés à 29,4% du PIB en 2020-
21, ce qui ne laissait ni déficit ni surplus. Attendons voir quels seront les
chiffres et pourcentages réels, lorsqu’ils seront communiqués au soir du
budget, le mois prochain. D’une part, un deuxième confinement n’avait pas été
prévu-ce qui a exacerbé la décroissance, d’autre part les aides considérables à
des entreprises pour le paiement des salaires a, sans nul doute, alourdi les
dépenses.
Quant à l’avenir, c’est-à-dire l’exercice 2021-22, il y a de fortes possibilités que
les estimations de revenus et de dépenses, selon les prévisions au soir du
dernier budget, soit 26,3% du PIB (égales encore une fois !), soient largement
revues à la hausse, en raison de l’amoindrissement du PIB, comme on l’a
constaté ci-dessus. Et n’oublions pas les dépenses résultant des projets publics
en voie d’exécution, estimés en 2020-21 à 6,6% du PIB, et en 2021-22, à 3,6%.
Dorénavant, lorsque la situation économique aura retrouvé une certaine
normalité, il faudra surveiller ce ratio de dépenses budgétaires par rapport au
PIB, en vertu du principe que dans le système d’économie mixte qu’est le
nôtre, les finances publiques doivent laisser suffisamment d’espace au monde
des affaires pour utiliser les ressources de manière productive, seul moyen
de redynamiser la croissance.
La dette publique
Qui dit déficit budgétaire dit dette publique. Si les sorties d’argent du
Consolidated Fund sont supérieures aux revenus, le déficit qui en résulte doit
être financé par des emprunts. Tout père, toute mère, de famille le sait ! Tout
opérateur d’entreprise, aussi !
La pandémie n’aura fait qu’empirer une situation à laquelle nous étions bien
habitués. Les déficits budgétaires sont la règle chez nous, les surplus
l’exception. Et c’est ainsi que la dette publique ne cesse de s’enfler. On
l’exprime en pourcentage du PIB, puisque cela va de soi que c’est de ce gâteau
national qu’il faut découper des tranches pour satisfaire les bailleurs de fonds
en attente de percevoir des intérêts, avant de récupérer leur capital. Et la
situation se corse, lorsque ces bailleurs de fonds sont des étrangers, en attente
de récupérer leurs biens en monnaies fortes, et non en roupies mauriciennes
dépréciées.
Au 30 juin 2020, la dette du secteur public était estimée à quelque 382
millions, soit environ 81, 5 % du PIB. Il y a lieu de penser que cette dette
s’achemine vers des hauteurs vertigineuses, pour les raisons suivantes : - le
déficit budgétaire restera conséquent en raison de l’inactivité économique
imposée par la pandémie, ce qui réduit les rentrées fiscales et occasionne des
aides budgétaires accrues au titre d’aide sociale.
Mais il y a un rayon d’espoir au tableau. Au 30 juin 2020, 83% de la dette
publique était d’origine interne, et 17% d’origine externe. Il en résulte que le
service de la dette (paiement régulier des intérêts et remboursement du
capital) n’affecte notre stock de devises étrangères qu’à la hauteur de 17% de
la dette publique. Nous verrons ci-dessous comment la gestion de nos réserves
en devises étrangères est d’une importance capitale.
Dans ce contexte, il est très souhaitable qu’un marché efficace et bien rodé
soit opérationnel à Maurice, afin que les détenteurs de capitaux locaux soient
persuadés d’acheter les bons d’emprunt qui sont régulièrement offerts par le
Trésor et la Banque de Maurice. Avis aux responsables de la Bourse de Maurice
et des banques.
Cela dit, la hausse conséquente de la dette publique par rapport au PIB appelle
à la vigilance. D’aucuns recommandent que les dépenses publiques soient
maitrisées et contenues : oui, certes, dans le mesure où elles devraient n’être
encourues que judicieusement - cela au grand plaisir du Director of Audit et
des contribuables et consommateurs de cette république -, mais il faut
reconnaitre deux réalités incontournables : l’aide aux victimes économiques de
la pandémie est essentielle au nom de la solidarité, et le pourcentage rehaussé
est mécaniquement inévitable, tant que le PIB reste chétif. En effet, l’objectif
majeur est la relance du PIB, ce qui signifie une utilisation optimale de nos
ressources en termes humains, financiers et naturels.
Les réserves en devises étrangères
Nous avons tendance à occulter les messages que nous transmettent la
balance commerciale et la balance des paiements. Nous nous soucions
davantage de la dette publique que de l’excès de nos importations par rapport
à nos exportations. Et pourtant, cet excès est pluriannuel, et le frein aux
activités économiques résultant de la pandémie ne peut qu’empirer la
situation.
A cet égard, il y a lieu de scruter la balance des paiements internationaux de
marchandises et de services par rapport aux exportations. La dernière à être
rendue publique dans le rapport annuel de la Banque de Maurice est celle de
l’année financière 2019-2020. Les faits saillants du tableau sont comme suit :
- les importations de marchandises (172,1milliards) sont supérieures aux
exportations (70,5 milliards), résultant en un déficit de la balance commerciale
égal à 101.6 milliards.
-lorsque les services sont tenus en ligne de compte, notamment le fret pour les
sorties de devises et, s’agissant des rentrées, le tourisme et les finances
transfrontalières, le résultat final est un compte courant négatif, se chiffrant à
39,5 milliards.
- pour compléter l’exercice, il faut prendre en compte les rentrées et sorties
de capitaux d’investissements.
-le résultat final révèle une balance des paiements qui accuse un déficit de 3,5
milliards.
On n’avait pas enregistré de déficit depuis plusieurs années, c’est l’arrêt
prolongé des activités économiques qui en est la cause. Durant l’exercice
précédent, la balance des paiements avait enregistré un surplus de 17,5
milliards.
Les perspectives ne sont guère réjouissantes pour le moment, avec le tourisme
en berne, et le secteur financier en zone noire. Nous risquons fort d’enregistrer
un nouveau déficit de la balance des paiements.
La conséquence importante d’un tel déficit est qu’elle réduit notre stock de
devises étrangères, (dollars, euros…), lesquelles sont essentielles pour notre
approvisionnement régulier en marchandises et services importés. Soyons
donc conscients que nous sommes sur une pente dangereuse, même si nous
avons, Dieu merci, un bon coussin de réserves en devises, représentant
quelque 302,3 milliards au 30 avril dernier, soit une couverture égale à 17,7
mois de nos importations. Mais il faut éviter des actions menant au risque
d’épuisement de ces chères devises. L’action récente, qui a consisté en une
vente de nos devises étrangères pour renforcer les finances du Trésor, ne
devrait pas être répétée : les réserves nationales ne sauraient être à la
disposition du seul secteur public, lequel doit disposer d’autres moyens pour
se financer.
En guise de conclusion
Dans l’expectative du budget 2021-22, nous nous sommes penchés, tour à
tour, sur la croissance, la dette publique et la balance des paiements. La
situation est difficile. Plus que jamais, notre attitude citoyenne, la nôtre
comme celle de ceux qui nous gouvernent, doit être celle qui vise à remettre
l’économie sur pied, pour le bien de tous. Il n’y a pas de place pour cette autre
attitude qui tente chacun d’entre nous, celle de rechercher notre seul et
unique avantage, sans nous soucier des conséquences pour autrui.
Pierre Dinan
**Le lecteur qui le désire est invité à se référer à un article explicatif détaillé
sur le PIB en cliquant sur pmdinan.com, section Pierre, année 2019, pour
accéder à l’article intitulé : Démystifier la croissance économique.
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